Maquette



    Une construction basse, moins large qu'un wagon de chemin de fer, composée d'un rez-de-chaussée surélevé d'un étage, à l'angle du 17 rue Tholozé et du 35 rue Durantin.
    Cette partie de la rue Durantin, qui va jusqu'à la rue Lepic, était depuis 1845 le passage Masson. En 1860, lors du rattachement à Paris des communes périphériques, dont Montmartre, on ouvre sur le terrain de monsieur Durantin, auteur dramatique, le premier tronçon de la rue qui porte son nom, entre la rue Garreau et la rue Ravignan ; puis la rue Bastien pour relier la rue Durantin au passage Masson. En 1875, la rue Bastien et le passage Masson prennent le nom de « Durantin prolongée » comme en témoignait une plaque qui apparaissait encore dans les années 1980 à l'angle de la rue Lepic ; l'adjectif a disparu.
    La rue Tholozé, chemin très ancien de la commune rurale de Montmartre, conduisait aux moulins sur la crête et directement au BLUTE-FIN, celui dont on voit encore la silhouette au bout de la rue. Chemin difficile pour les petits ânes qui montaient le blé et descendaient la farine. Chemin tout aussi difficile quand ils devront transporter les belles qui les louaient en bas de la butte pour se rendre aux moulins et dans les cours de fermes devenues guinguettes.
    Après la conquête de l'Algérie et un début d'urbanisation, le chemin prend le nom du lieutenant général – Henri-Alexis Tholozé qui s'était distingué au cours des campagnes, et qui semble avoir été honoré de son vivant. Cette rue à forte pente reste longtemps le territoire des enfants du quartier qui, sans inquiétude, en occupent la chaussée jusqu'à l'expansion de la voiture automobile : les attelages ne s'y risquaient pas.
    Vers le début du XXe siècle les foules populaires ingambes l'empruntent pour atteindre le bal du MOULIN DE LA GALETTE, rue Lepic ; mais certains préféreront s'arrêter à la PETAUDIERE, le cabaret de Xanrof, auteur de la chanson popularisée par Yvette Guilbert : « Le Fiacre » ; c'était à l'emplacement du STUDIO 28. D'autres monteront jusqu'à mi-pente, au THOLOZ'BAL, au coin de la rue Durantin. Les danseurs grimperont encore dans les années 1950 jusqu'au bal du Moulin, très fréquenté, où, avant de passer le guichet d'entrée, ils  pourront reprendre leur souffle dans les files d'attente qui, du grand escalier longeant la rue, débordaient souvent largement sur le trottoir.
    Le PETIT MOULIN actuel était un appentis de construction rustique accolé à la remise de l'immeuble voisin, au n° 15.      Le premier étage semble avoir été ajouté après coup. Lors de travaux récents de consolidation, la charpente laissait apparaître de beaux clous forgés à la main, les solives utilisées provenant probablement de matériaux plus anciens remployés.

    En 1921 l'ancienne remise et son appentis constituaient le café AU BOUQUET DU MOULIN. Café, mais aussi restaurant tenu par un certain Léon ; les habitués allaient donc chez Léon et ne manquaient pas de s'y régaler, pour respecter le fier adage soigneusement calligraphié sur le bandeau en façade : « Chez Léon Tout est Bon ».


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    L'engouement d'après guerre pour le bal et le goût pervers pour l'anglicisme qui encombrait déjà la mode, avaient inspiré  l'enseigne : le THOLOZ'BAL.
    Toujours chez Léon, à l'enseigne du THOLOZ'BAL, on pouvait danser tous les soirs, le dimanche et les jours fériés en matinée. Pas le samedi ; malgré l'anglomanie, la semaine anglaise tardait à s'imposer. Et quand les clients avaient bien mangé, bien bu et bien dansé ils pouvaient aussi y passer la nuit ou peut-être… un peu moins longtemps ; dans l'immeuble du 15, on louait des chambres dont certaines, à peine plus grandes que des placards, étaient éclairées par des impostes donnant sur le couloir. Sacré Léon !

    Le décor hésitait entre la tendance Art nouveau, de style floral, mâtiné d'exotisme en devanture et, à l'intérieur, le chic populaire de motifs à bouquets sur treille, encadrant de grandes glaces destinées à détourner l'attention de l'exiguïté du local.
    Quelques faux lambris ornaient les murs en partie basse, là où il restait un peu de place.
    Les parements verticaux des solives évoquaient des marines ou des scènes de plage, façon chromo mais charmantes, peintes en frises, peut-être par un artiste montmartrois qui s'était acquis par cette contribution la possibilité d'allonger son ardoise. Les soirs de délire, en clignant des yeux, expression toute naturelle en fin de soirée, ceux qui en avaient quelque connaissance pouvaient imaginer des plafonds à caissons à la française.
    L'arrière de la salle, aujourd'hui garage de maison bourgeoise, recevait  la lumière du jour par le plafond garni de pavés de verre, version modernisée du cul-de-bouteille.
    Les travaux récents effectués au PETIT MOULIN ont fait surgir du sol en terre battue de la cave, des cristaux de gypse en fer de lance, roche qui constitue une grande partie du sous-sol de Montmartre. Rien d'étonnant : l'immeuble repose sur des remblais d'une trentaine de mètres de profondeur recouvrant une ancienne carrière exploitée à ciel ouvert.
    Par les aléas des transactions immobilières, l'appentis, après l'épopée du THOLOZ'BAL, a été séparé de la maison mère et vit, autonome, depuis pas mal d'années. Encore dans sa jeunesse il y a une quarantaine d'années, c'était un restaurant populaire minuscule – il n'occupait qu'une partie du rez-de-chaussée – que la tenancière surnommée « Tourterelle » rechignait à céder, par crainte de le voir sombrer dans la modernité et l'exotisme. Au début de la décennie 1980, avec le nouveau propriétaire, l'exploitation du restaurant se trouvait augmentée du premier étage demeuré logement, et prenait le nom : AU PETIT MOULIN, dont l'enseigne tourne au vent depuis ce moment, faisant les délices des photographes amateurs, et suscitant la rancune des voisins, pour ses grincements par fortes rafales.

                                                                                                                                                    Dominique Bartoli

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